Quels réseaux pour partager entre tiers-lieux ?

Il nous manque un ou plusieurs réseaux de tiers-lieux qui permettent plus de mobilisation et de moyens mis en communs pour faire ensemble et résoudre les centaines de défis auxquels sont confrontés ces lieux.

Vous allez me répondre « France Tiers-Lieux » tente de le faire ? Pas vraiment. France Tiers-Lieux joue un autre rôle, celui d’interface avec l’acteur public et de mobilisation de financements publics, mais avec les contraintes et les envies d’une institution, et donc avec les défauts et avantages qui lui sont liés.

Or nous avons besoin d’un réseau dont les envies et les contraintes sont avant tout celles de ses tiers-lieux. Et qui mobilise d’abord ses propres ressources humaines et financières.

Si l’on reprend le schéma ci dessus, réalisé par Jean Michel Cornu et expliqué sur cette page, France Tiers lieux est plutôt dans le régime de la planification. L’association doit gérer du prévisible, dans un contexte de rareté financière et de rareté de temps de disponible. Cela s’explique par le fonctionnement de l’Etat : des financements à dérouler par grandes lignes (15 millions pour les services civiques, 30 millions pour des manufactures, etc…), des volontés des élus liés à des échéances politiques précises, un besoin d’actions visibles pour les fins de mandat. Il faut dès lors réaliser ce qui est programmé, comme par exemple rendre un rapport commandé par un ministre, animer les « fabriques de territoire », un concept difficile à s’approprier, car sorti sans concertation avec les lieux.

Qui serait d’accord pour faire cela bénévolement ? Avec un travail réalisé par une équipe de salariés basés à Paris afin d’être en lien direct avec l’Etat, c’est une structure efficace mais coûteuse. Au niveau de la gouvernance, difficile de l’imaginer s’ouvrir complètement, car sans une personne « politique », identifiée par les élus comme une seule tête, difficile d’obtenir autant de moyens. Or, avec une association aussi marquée politiquement, comment se sentir à l’aise ? À titre de d’exemple, est ce que nous irions à la rencontre de nos CAEs (elle a lieu la semaine prochaine) avec autant de mobilisation si la fédération était présidée par une personne politique autoproclamée, dont les financements globaux dépendent entièrement de ses actions et qui décide en petit comité avec le gouvernement des grandes actions à mener pour notre fédération ?

Ainsi, même si France Tiers-Lieux peut apporter beaucoup, les tiers-lieux se l’approprient très peu comme leur outil collectif. Il y a ainsi le risque de ne jamais trouver l’espace pour « faire ensemble » et se consolider alors que nos enjeux sont majeurs.

Le réseau à construire doit être fédérateur pour réussir à gérer l’imprévisible dans un régime d’abondance qui est caractéristique de l’économie des tiers-lieux. Et donc plutôt se positionner sur la 3ème partie du schéma en créant un réseau où les membres amènent de l’abondance de « temps » mais aussi de « compétences », s’impliquent et y croient pour se positionner là où c’est utile et ainsi résoudre les nombreux enjeux des tiers lieux. Où l’on génère aussi de l’abondance d’échange pair à pair, par les outils déployés et animés (Forum, chat, wiki, etc…). Où l’abondance vient du partage de l’information, par exemple avec des dispositifs de financement transparent (à l’image de l’appel à Communs de l’ADEME). Mais c’est aussi réussir à développer une abondance financière en organisant le cofinancement par les acteurs des tiers-lieux de ressources communes là où chacun disperse actuellement ses investissements et construit des solutions pour soi.
L’imprévisible, nous y sommes actuellement avec ces crises qui nécessitent une diversité de réponses et une capacité à résoudre les défis de manière très vivante. Comment les solutionner si l’on n’ouvre pas à la contribution du plus grand nombre et à la diversité des compétences qui animent nos tiers-lieux ?

En ouvrant sensiblement la gouvernance de ce futur réseau des tiers lieux et en portant une identité forte, où la culture contributive et des communs serait ancrée au cœur de l’ADN des Tiers-Lieux, telle que la défend depuis 10 ans le mouvement Tilios, un réseau pourrait se consolider et apporter beaucoup, sans spécialement demander d’énormes moyens financiers. C’est la valeur contributive qui serait au coeur du fonctionnement de ce réseau et non l’attente de grandes annonces d’une politique publique négociée à couteaux tirés.


Bien sûr, il faut toujours un peu des deux car être sur un modèle basé uniquement sur la première partie du schéma ne fait pas sens. Ou un modèle basé seulement sur la troisième partie serait risqué. Mais essayer de faire fédération par la contribution de ses membres tout en se pliant à un programme autant politique risque de coincer. Avec les deux côte à côte et France Tiers Lieux qui aide à l’émergence du second réseau (ou d’autres réseaux), un équilibre intéressant et original peut se mettre en place.

C’est d’ailleurs le choix fait par Wikipedia : ils ont séparé les deux organisations. L’une qui gère la contribution dans un régime d’abondance et d’imprévisibilité et fonctionne par validation à posteriori (Wikipedia,) et l’une qui gère le côté hébergement et les enjeux juridiques, beaucoup plus planifiables à priori (Wikimedia foundation et les associations nationales, comme Wikimedia France, qui a d’ailleurs une équipe de salariés et des bureaux au coeur de Paris, et que moins de wikipediens s’approprient). Les contributeurs à Wikpédia ne s’inquiètent pas de son ou de sa présidente, il n’en ont pas (ce qui n’est pas le cas de la Wikimedia Foundation ou des associations Wikimedia)

Cela ne veut pas dire non plus qu’il faut abandonner France Tiers Lieux et ne pas s’impliquer aussi dans cette organisation. Il reste possible de participer à sa gouvernance. Un travail est d’ailleurs en cours pour la redéfinir et cet article résume mon positionnement sur le sujet.

Pour autant, nous avons besoin de consolider un ou des réseaux de Tiers-Lieux plus appropriables . Ils sont déjà en partie présents, mais peu outillés et consolidés. Le réseau Tilios (Tiers-Lieux Libre et Open source), les lieux intermédiaires et indépendants, le Réseau français des Fablabs, le réseau des cafés et cantines associatifs, le réseau des bars culturels, le réseau des ludothèques, le réseau des ateliers vélo, la fédé des épiceries autogérées, Tiers lieux éducation. Et les réseaux locaux, qui sont autant d’appuis pour les Tiers-Lieux (La compagnie des Tiers-Lieux, La coopérative Tiers-Lieux, etc). Comment faire cela ? La question est initiée sur le forum pour continuer l’échange.

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Je me permets de conclure par une petite note plus générale, qui dépassé la question de France Tiers Lieux : Même si les politiques de notre gouvernement sur les tiers lieux semblent louables, elles sont dans les actes très éloignées de sa communication. Combien de fabriques de territoires ont été labellisées par effet d’aubaine, par des jeux politiques et vont abîmer sur le terrain ce que l’on entend par tiers lieux ? Comment être convaincu par une politique qui aura soutenu surtout les « grands lieux » et aura plutôt épuisé les petits qui se seront essayé à la réponse à l’AMI ?
Les récentes grandes annonces de l’Etat, en pleine campagne électorale, parlent de 130 millions pour les tiers lieux, mais ce sont des actions très larges par rapport à la finesse des défis des tiers lieux : 20 millions pour des services civiques, d’autres 30 millions pour une petite centaine de grand lieux dits « manufactures », 50 millions sur la formation professionnelle (souhaitons nous vraiment en toute priorité professionnaliser les contributeurs des tiers lieux au point de mettre 40% du budget ?). Pourquoi autant de moyens pour des actions qui ne favoriseront pas l’autonomie à moyen terme de ces lieux ? Il est à souligner néanmoins un financement des réseaux (15 millions) et 1% pour consolider des solutions communes à tous. Tilios demandait plutôt 50% sur ce dernier sujet, car c’est en produisant des communs comme des foncières, des connaissances, du juridique, des logiciels que l’on rend aussi plus accessibles et plus autonomes nos lieux. Mais cela se joue encore une fois avec empressement, juste avant les élections présidentielles où il est nécessaire d’avoir un virage plus social. Cela n’aide pas à s’approprier cet engagement. Comment ne pas y voir un jeu politique, et se sentir utilisé pour quelques millions, alors même que ce gouvernement a eu une politique de droite libérale et à l’opposé de ce que défendent tant de ces lieux ? A force de communication, n’y a il pas un risque d’assimiler le mouvement tiers lieux à un mouvement d’un parti politique libéral porté par une agence d’Etat ? N’y a il pas le risque de transformer un projet politique en un gadget pour collectivité publique attiré par l’effet communication ?

Historiquement, en France, les tiers-lieux libres et open source déploient des logiques de réseau, de maillage plus ou moins formel, pour partager leurs questionnements, leurs approches des territoires, leurs positionnements, méthodes et ressources. Révéler des proximités et des solidarités entre les communautés permet de conduire une réflexion sur leurs modalités d’action, et sur la manière dont celles-ci peuvent, ensemble, infléchir les politiques publiques ou faire action publique.

Sylvia Fredriksson – DE QUOI LES TIERS LIEUX LIBRES ET OPEN SOURCE SONT ILS LE NOM

En ce moment pas mal de collectivités veulent leurs tiers-lieux et pour cela s’engagent à les financer quasi exclusivement. Les tiers-lieux se retrouvent alors dans la même situation que les institutions culturelles, ce qui n’est pas tenable sur le long terme

Antoine Burret – DE quoi les Tiers Lieux Libres et Open source sont ils le nom ?

Si les Tiers Lieux c’est devenu si « Amazing », ok, mais c’est quand alors que vous ré-ouvrez la ZAD de notre dame des landes ? C’est quand que vous ré-ouvrez les rond-points des gilets jaunes ? C’est quand que vous re-qualifiez les FreeParty d’utilité publique ? C’est quand que vous, que vous, que vous, que Nous ?

Yoann Duriaux

L’intérêt que porte l’acteur public sur le sujet est légitime, mais les tiers-lieux doivent être en mesure de se penser dans le temps long. De se préserver des agendas malgré les désirs et les incitations. Et s’ils troquent un devenir-marchandise pour un devenir- politique, il est à espérer que cela ne se réduise pas à un ancrage idéologique quelconque.

ANTOINE BURRET – LA POLITISATION DES TIERS-LIEUX

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4 Comments

  1. Merci Simon pour ta hauteur et ta contribution au débat.

  2. Merci pour cet éclairage.

  3. Merci beaucoup Simon, et aux personnes citées.

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