En 2021, je racontais comment je voyais un réseau de tiers-lieu :

Un réseau dont les envies et les contraintes sont avant tout celles de ses tiers-lieux. Et qui mobilise d’abord ses propres ressources humaines et financières. […] Le réseau à construire doit être fédérateur pour réussir à gérer l’imprévisible dans un régime d’abondance qui est caractéristique de l’économie des tiers-lieux. […] En ouvrant sensiblement la gouvernance de ce futur réseau aux tiers lieux.

Mais je n’avais pas vraiment précisé, ni même réfléchi au cadre démocratique qui pouvait animer ces réseaux. Après quelques années à naviguer dans divers réseaux, voici un comparatif qui vise à caractériser un réseau plutôt démocratique en le comparant à une logique de réseau qui en reste éloignée.

Ce tableau tire les traits , et vise avant tout à aider à nous questionner sur le fonctionnement de nos réseaux, en particulier quand ils nous représentent, parlent ou sont financés en notre nom.

Ce sujet est important à considérer dans le cas de réseaux qui peuvent par exemple être très financés par l’acteur public ou privé, au nom des acteurs eux mêmes, sans pour autant s’assurer qu’il y ait un processus démocratique solide qui permet aux acteurs de ce réseau de se sentir partie prenante de ce que font leurs représentants. Ce travail vise aussi à aider les financeurs de ces réseaux à poser des indicateurs.

(Vour pouvez retrouver ce tableau sur cette page wiki Movilab, pour l’enrichir au fur et à mesure)

SujetUn réseau plutôt démocratiqueUn réseau assez peu démocratique
CréationCréé par la volonté de la majorité des acteurs du réseau.Créé ou élargi par l’impulsion d’un financement public ou privé plutôt que la volonté des acteurs, qui n’ont pas dans leur majorité participé à cette création ou élargissement.
Légitimité– Implique la grande majorité des membres. Par exemple, plus de 80% des acteurs que le réseau représente sont membres du réseau.
– Si l’on est légitime à l’être, devenir membre doit être simple d’accès, voir il n’est pas toujours nécessaire d’être membre pour avoir une place dans le réseau et pouvoir décider de son avenir ou obtenir des droits.
– Un travail a été réalisé ou continue à être réalisé pour s’assurer que tous les acteurs légitimes sont bien au courant de l’existence du réseau.
– Peu d’acteurs légitimes adhérents au réseau et cela n’est pas particulièrement encouragé. Pour autant, le réseau s’autorise à parler au nom de ces acteurs et à obtenir divers droits comme par exemple du financement public.
– Peu de travail est fait pour s’assurer que tous les acteurs légitimes sont bien partie prenante du réseau, voir connaissent son existence.
Elections des représentants– Démocratie directe par les acteurs adhérents pour l’élection des membres qui ont le pouvoir (représentants, conseil d’administration, etc…).
– Election à la majorité des 2/3 ou usage de l’élection sans candidat (par exemple pour la présidence ou la représentation).
– Le conseil d’administration est rétribué ou indemnisé et des moyens pour se réunir sont donnés (frais de déplacement, hébergement, logement, animation professionnelle)
Election réalisée à la légère car le conseil d’administration ne joue pas un rôle important. Par exemple, celui qui lève la main, car présent le jour J de l’AG, peut facilement être élu, sans profession de foi.
– Le conseil d’administration est bénévole et a peu de moyens pour faire son travail.
Représentants– Le pouvoir, notamment celui de la représentation n’est pas axé sur une personne « politique » ou proche des partenaires financiers. Les représentants sont à l’image de leurs membres, et souvent des membres eux mêmes. Cela donne le sentiment d’être représenté par ses pairs. Leur mandat est limité dans le temps.– Représentation et une part du pouvoir assurée par des personnes très proches des financeurs extérieurs, choisies pour leur capacité à parler à ces financeurs publics ou privés.
– Les représentants ne sont pas spécialement eux même des membres du réseau ou ayant une expérience importante dans le réseau qu’ils représentent.
– Le rôle de représentation va avoir tendance à être réalisée par la même personne, sans limite de mandat.
Processus de décision– Les décisions stratégiques sont régulièrement mises en débat (sondage ou vote) impliquant l’ensemble des membres et des traces de ces décisions sont gardées. Un conseil d’administration peut prendre le relais sur les décisions moins stratégique, puis l’équipe salariée ou de contributeurs.
– Plutôt utilisation de la prise de décision au consentement.
– Pour faire avancer les sujets, on peut faire de l’éducation populaire entre membres, afin de progresser collectivement et permettre d’avancer sur les propositions qui peuvent ensuite être décidées par le processus de décision choisi collectivement.
– Les décisions, même celles très stratégiques sont souvent prises par les représentants, la direction ou les salariés si l’équipe est constituée de salariés, ou par les contributeurs actifs, sans cadre démocratique clair (les acteurs du réseau, membre ou non, interviennent peu).
– Peu de processus de décision avancé (consentement, jugement majoritaire, etc…) et logique plutôt verticale de la décision. Si il existe, il n’y a pas eu de validation par les acteurs du réseau du processus de décision.
– Pour faire avancer les sujets, il est fort probable que se développe des jeux d’influence auprès des représentants, avec d’importantes difficultés à les convaincre, surtout si ces derniers ne sont pas des acteurs eux même du réseau (il ne vivent pas les situations des membres et peuvent alors avoir du mal à comprendre les préoccupations de ces derniers)
FinancementEn général, financé en grande majorité par les acteurs du réseaux, par des cotisations. Les subventions viennent en complément. L’inverse est néanmoins possible si les subventions ne risquent pas de fragiliser le cadre démocratique et de légitimité du réseauEn général, fonctionne principalement grâce à des subventions publiques ou des partenaires privés qui ne sont pas les acteurs du réseau eux mêmes.
SérénitéBeaucoup plus serein car financé par les membres, ce qui sécurise les salariés, le CA ou les contributeurs.– Très dépendant du financeur public ou du partenaire privé extérieur aux membres. Cela peut créer une insécurité car il y a peu de prise sur les décisions de ces partenaires. Le stress est fort si les subventions ou ces partenariats s’arrêtent. Sous cette pression, il y a le risque d’adapter le réseau aux conditions du financeur, à ne pas oser débattre des sujets de désaccords avec ces derniers, quitte à se mettre à dos une partie des acteurs ou à les marginaliser.
CadreCadre clair du pourquoi on est dans le réseau, avec une charte et une évaluation des membres quand au respect de cette charte (Exemple : SPG comme Nature et Progrès, etc). Seuls les acteurs respectant la charte participent aux décisions et il peut y avoir des niveaux de maturité avec différents droits (notamment de vote) et devoirs.– Le cadre n’est pas clair. On ne sait pas bien qui peut être ou pas dans le réseau, qui en est, et pourquoi. Cela complique les coopérations entre les membres qui ont des pratiques très divers, sans un cadre existant. Tendance à accueillir tout le monde pour faire « grossir les chiffres » qui légitiment par exemple les financements publics.
Actions et sujets travaillésFocalisation en majorité sur les enjeux des membres. Les sujets travaillés émergent des préoccupations, des besoins ou des chantier des acteurs. Pour permettre cela, divers outils sont mises en place, notamment de l’animation avec de l’intelligence collective.– Les sujets travaillés sont plutôt guidés par les instructions des financeurs extérieurs. Avec une tendance à se concentrer sur la communication, la visibilité et la remontée de données pour les financeurs.
– Le réseau va capter les sujets qui émergent chez les membres, mais plutôt en posture de communiquer dessus, notamment pour justifier les financements, sans pour autant en être porteur, moteur, soutenant ou garant. Il y a peu de prise du réseau sur les préoccupations des acteurs, leurs besoins.
CommunautéCommunauté apprenante qui progresse avec une compréhension des enjeux de plus en plus partagés (éducation populaire) et des pratiques démocratiques qui se perfectionnent.Communauté qui stagne dans ses apprentissages et l’amélioration de son fonctionnement. Discours du type « les membres ne comprennent pas les sujets ou ne se sentent pas concernés par les sujets » avec abandon de toute tentative de faire monter en compétences les membres du réseau.
ContributionLa contribution des membres est encouragée, pour améliorer les services du réseau, mais aussi bénéficier des compétences du réseau. Pour cela, une animation et des outils de coopération sont déployés. Si le réseau a des budgets, le réseau peut aller jusque de la corémunération pour rétribuer les acteurs du réseau qui s’investissent, ou activer des mécanismes d’adaptation des cotisations selon l’implication.L’implication des membres du réseau à améliorer les services de leur propre réseau n’est pas encouragée. Les actions sur lesquelles agir sont peu visibles. Pas de budget ou d’allègement de la cotisation qui permettrait d’encourager les membres qui s’impliquent.
Gestion des conflitsLe réseau apprend à gérer les conflits ou désaccords entre lui et ses membres et aussi entre les membres eux-mêmes. Il a aussi l’enjeu de conserver des cotisants.Le réseau ne prend pas soin des désaccords ou des conflits avec ses membres. Après tout, même si des membres sont pas d’accord, cela a peu d’impact financier sur le réseau. La conflictualité entre les membres eux même peut avoir l’avantage de faciliter la conservation du pouvoir par le réseau illégitime (« Diviser pour mieux régner »)
PrestationsSi le réseau fait de la prestation de service, il veille à ne pas se mettre en concurrence avec ses membres. Le réseau va plutôt animer un réseau de prestataires et créer un cadre de réciprocité de ces prestataires (notamment pour leur partager les missions qui arrivent directement au réseau) que lui-même avoir cette posture.Le réseau gère la plupart des prestations, notamment les plus intéressantes. Il se met alors en concurrence avec ses propres membres. Cela l’amène à se mettre au service d’acteurs qui le paient pour des services extérieurs plutôt que directement les acteurs du réseau. Il y a alors un risque important d’éloignement du réseau de sa raison d’être, qui est de se mettre au service des acteurs qu’il met en coopération ou anime.

Ilustration par Laurent Libessart – Licence nc by sa