En permettant à chacun de contribuer au développement des tiers-lieux, un autre mode de développement s’active, basé sur la diversité des compétences et ressources des personnes. Les tiers-lieux sont des espaces « réseaux » où cette diversité est sous nos yeux, abondante, et capable de résoudre beaucoup de situations imprévisibles. Comment dès lors réussir à développer cette culture contributive ? Et miser sur elle pour trouver une partie du modèle économique des tiers-lieux ?

Le site “l’air du bois” est une plateforme sous logiciel libre, aux données ouvertes, portée par une association. Elle héberge des milliers de plans d’objet en bois sous licence libre. Chacun peut y contribuer.

Comment expliquer que l’air du bois ne demande que 60 euros par mois de dons, alors qu’elle rend un service aussi important, de manière aussi ouverte ? Obtenant certes un peu plus de dons, c’est la même logique pour la plateforme lichess.org, numéro 2 mondiale du jeu d’échec en ligne. Dans le numérique, quand une plateforme génère beaucoup de trafic, elle est plutôt valorisée en millions et va tout verrouiller pour conserver son avantage. Ici, c’est l’inverse qui est mis en place et cela permet de rendre des services tout aussi importants mais surtout beaucoup plus accessibles à tous. C’est aussi le cas de Guillaume Rozier, qui a reçu l’ordre national du mérite pour son travail sur CovidTracker. Là aussi, des solutions sous logiciel libre, données ouvertes, où il est possible de contribuer sont au coeur de la réussite de sa solution soutenue par de nombreux bénévoles, dépassant rapidement en terme d’efficacité les solutions proposées par l’Etat. Pour autant, il n’a pas fait le choix de devenir millionnaire et a toujours laissé l’accès libre à tous et propose plutôt qu’on lui « offre un café ».

D’une autre manière, mais inspiré par ces réussites, les tiers-lieux ont un enjeu à aller chercher le potentiel contributif de leurs espaces. Ils ont intérêt à s’éloigner des modèles classiques de développement économique, qui favorisent plutôt le secret et la privatisation et deviennent vite coûteux pour les usagers ou pour ceux qui les subventionnent, c’est à dire nous tous. Car dans les tiers-lieux, les configurations et enjeux sont proches de ceux qui ont permis les logiciels libres dont font partie les exemples cités ci dessus : Les tiers-lieux sont des espaces réseaux, où il y a de l’abondance de compétences, des personnes qui peuvent donner le meilleur d’elle-même, si toutefois les lieux “créent les conditions de la contribution”, cette configuration sociale bien spécifique qui permet de faire tiers-lieu.

Bien sûr, pour réussir à animer cette contribution, les usagers des lieux doivent être en confiance. Pour cela, sans partager la gouvernance et la gestion du lieu, ou sans partage de la propriété de l’activité ou du foncier, rares sont les lieux qui peuvent bénéficier complètement du potentiel contributif des membres de leurs espaces. Rares aussi sont les lieux qui peuvent mobiliser des compétences fortes sur la durée, si ils ne partagent pas les revenus avec leurs contributeurs actifs. Pour favoriser la cogestion dans les lieux qui arrivent à dégager un peu de revenu, des mécanismes de partage des rémunérations peuvent se mettre en place pour permettre aux personnes de stabiliser leurs contributions sur le long terme.

Pour qu’il y ait cette abondance d’une diversité de compétences prêtes à donner du temps, des sous ou du matériel, il faut des lieux sympas, mais aussi collectifs, ouverts, partagés, vivants. Des lieux fait de diversité, d’altérité, de bien commun, de proximité !

Mobiliser ces personnes et ressources facilite le faire ensemble et le vivre ensemble, deux éléments indispensables pour donner un âme à ces espaces. Ces lieux, par leur dimension très vivante, sont soumis en permanence à des défis où, dans ce contexte spécifique, tout planifier avec rigueur fonctionne mal . Par contre, ouvrir au plus grand nombre la possibilité de répondre à des enjeux permet souvent de naturellement les résoudre. Les compétences se mettent naturellement aux bons endroits et réussissent ainsi à gérer l’imprévisible.

Ceux qui explorent cette voie ont peut-être derrière cela un modèle économique. Comment Wikpédia a trouvé ses contributeurs pour adapter en permanence les articles ? Ils ont créé un ensemble de conditions permettant une contribution bénévole stable dans la durée. Dans la coopérative d’activité et d’emploi OPTEOS, révéler le potentiel contributif des membres et créer un cadre propice à la contribution a permis de penser complètement différemment l’économie de la coopérative.  Là où aucun membre ne contribuait auparavant, c’est plus de la moitié du budget salarial qui est aujourd’hui attribué à une diversité de contributrices et contributeurs membres de la coopérative. L’organisation bénéficie alors d’un beaucoup plus grand spectre de compétences, qui apprennent ainsi à faire ensemble et se connaître. Autre exemple, la coopérative Baraka, un restaurant coopératif a dû faire un choix stratégique il y a 3 ans face à deux options. La première, revendre leur bâtiment à une SCI alors qu’il était sous un statut de bien commun via la SCIC et louer le restaurant à un entrepreneur qui aurait repris la gérance seul. Ou adopter une approche inverse, c’est à dire renouer avec le projet de départ et remobiliser des contributeurs ? En choisissant de s’ouvrir à la contribution, le lieu s’est rempli de nouvelles énergies et de personnes de bonnes volontés (l’étymologie de bénévolat, qui ne veut pas dire gratuit) et a su remobiliser de nombreux financements dans la SCIC. La Coopérative a ainsi pu se stabiliser autour d’un autre modèle économique, où des bénévoles assurent le service et s’impliquent dans de nombreuses missions du tiers-lieu.

Voir aussi l’article « Quels réseaux pour partager entre tiers-lieux »