Un article bien intéressant sur André Gorz me fait repenser à la notion de « Tiers-Lieux Open Source » utilisée pour caractériser notre mouvement autour de ces espaces. Ce qui est intéressant avec ce penseur, c’est qu’il expliquait cela 5 ans avant la crise, et sans connaître l’arrivée de cette économie collaborative et le renouveau des logiques de « tiers-lieux ».
Première citation, qui parle des solutions à mettre en place pour éviter la catastrophe :
Pour éviter un tel scénario, il nous faut élaborer une vision d’un avenir qui soit désirable par le plus grand nombre. Ce patient travail consiste avant tout à reconstruire ce que Gorz appelait «une culture du quotidien», c’est-à-dire des relations sociales et un milieu social qui favorisent le respect et l’entretien du bien commun. Car les évolutions des dernières décennies font que nos concitoyens ne se sentent nulle part chez eux.
A mon sens, les tiers-lieux répondent à cet enjeu. En tout cas, à Lille, je ressens cela fortement avec les lieux que sont La Coroutine et Mutualab. C’est peut-être mon idéalisation qui fait effet, mais j’ai le sentiment qu’un savoir-vivre se recrée autour de ces lieux, autour d’un réseau de personnes de plus en plus large. Et qu’à travers ces lieux qui « appartiennent à tout le monde », en se côtoyant tous les jours et en prenant soin ensemble de ces espaces, nous apprenons à devenir bienveillants et développons ensemble de nouvelles pratiques. Cet environnement de passionnés où l’on se sent tous « collègues » commence à avoir une valeur inestimable pour chacun.
C’est là que le mot « open-source » ou « libre » a son importance. Je crois qu’il faut que les « tiers-lieux » soient pensés autant que possible comme des communs, ni espaces publics, ni privés. De manière à les rendre durables, ouverts à tous et appropriables. D’ailleurs, même si les espaces lillois sont « co-gérés » en logique contributive, ils restent beaucoup trop coûteux à l’accès pour assurer à tous cette mission de développement de « la cuture du quotidien ». Et pour cause, ils sont privés, puisque nous devons les louer à des particuliers. Saurons nous évoluer pour dépasser la « mentalité moderne », comme l’exprime Majid Rahnema dans son livre « la puissance des pauvres » :
Rien n’étant gratuit ni libre dans l’espace public, et peu dans la sphère privée, l’un comme l’autre sont des provinces de l’empire de la rareté. La mentalité moderne est incapable de concevoir un espace social qui ne soit ni public ni privé. (Citation du libre « La Puissance des pauvres »).
Cette évolution passera sans doute par des logiques de propriété collective, un sujet travaillé actuellement au niveau juridique à travers Sharelex. Une fois un lieu détenu par un collectif ouvert, est-il encore la propriété d’un acteur public ou privé ? Andre Gorz est assez proche de la vision de de Majid Rahnema avec dernière cette citation que je lui emprunte :
L’issue de la crise de société que nous subissons depuis des décennies doit être cherchée dans à la fois moins de marché, moins d’Etat et plus d’échanges qui ne sont commandés ni par l’argent, ni par l’administration mais fondés sur des réseaux d’aide mutuelle et les initiatives de la société civile organisée
Ce renouveau des réseaux d’aide mutuelle, c’est sans doute à travers Internet que cela se caractérise le plus en ce moment. A travers les plateformes de l’économie collaborative, comme les sites de partage d’objets, le covoiturage, le logement chez l’étranger ou encore les sites de financement participatif. Mais le fait de voir ce partage se développer aussi dans les tiers-lieux montre que ces pratiques pourraient dépasser l’utilisation de l’intermédiaire numérique, pour fonctionner de manière autonome au niveau local. S’affranchissant alors des plateformes, ou ne les utilisant que pour faire le lien avec le global, avec les autres lieux, et favoriser le développement de ces pratiques à grande échelle. Cela sera possible seulement si les acteurs locaux mutualisent autour d’outils favorisant des pratiques communes, à l’image de ce que le mouvement autour des tiers-lieux tente de faire a sein de Movilab.
Dernière citation que je reprends ici :
la lutte engagée entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres a été le coup d’envoi du conflit central de notre époque. Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation des richesses premières.
Ce conflit dont parle Andre Gorz, je suis assez persuadé qu’il a lieu aujourd’hui et que c’est en effet central. Si les « libristes » ou « commonistes » (à ne pas confondre avec « communistes ») ne s’organisent pas, la place sera rapidement prise par les services « privatifs » (ou propriétaires). Si l’on ne protège pas les biens communs, ils seront mis sous propriété intellectuelle. C’est le cas par exemple des brevets que l’on met aujourd’hui sur le vivant. Il y a aussi besoin d’être là dans l’innovation pour réussir à développer des solutions libres avant d’être enfermé par des solutions propriétaires qui auront su s’accaparer un nouvel usage et la pratique sociale qui lui est liée. C’est le cas de facebook, pour les échanges numériques entre individus, alors que les échanges entre machines à la base d’Internet sont basés eux sur un protocole libre. Il y a aussi besoin de protéger autant que possible les biens communs actuels pour qu’ils ne se transforment pas, de continuer par exemple à prendre soin de wikipedia.
Comme exprimé dans cet article, nous devons choisir en tant que citoyens les projets libres à soutenir collectivement. Je pense à des projets qui portent en eux des alternatives puissantes, mais qui « rament » pour se développer rapidement (gittip, openudc, mailman, wikihouse, bewelcome, sharelex, etc..). L’enjeu serait d’éviter de s’éparpiller, ou alors, comme dans le cas de wikipedia, de mettre plusieurs années avant qu’ils soient capables de juste se payer des serveurs. Pour cela, il faut aussi que nous commencions ce travail de repérage des usages nécessaires pour favoriser la convivialité dans nos vies (système de partage d’objets de manière gratuite, lieux de travail collectifs, monnaie libre, etc…). Et pour tout ça, il faut des lieux. Des lieux qui permettent d’abord de recréer la « culture du quotidien », afin de construire cette vision d’un avenir désirable. Puis des lieux pour travailler ensemble à construire ces solutions. Mais des espaces libres, ouverts au plus grand nombre pour que chacun puisse s’impliquer et contribuer aux solutions. Des lieux qui soient aussi connectés entre eux pour donner au développement de ces solutions plus de force.
Pour échanger autour des « Tiers-lieux Open Source« , vous pouvez rejoindre le groupe sur facebook (et oui, obligé d’aller sur cette solution tant que l’on a pas développé cet usage sur des outils non privatifs).
Laisser un commentaire