« Croissance et emploi », piège de la classe politique au pouvoir

Le discours de Manuel Valls de dimanche soir démontre ce que Bernard Stiegler explique dans son livre où il prédit que le FN sera majoritaire en 2017.

En martelant les termes « croissance et emploi » comme seules solutions, Manuel Valls ne s’attaque pas aux causes du problème actuel et l’amplifie. L’électeur se retrouve sans solution et est séduit par l’abstention ou la proposition de l’extrême droite. Cette dernière ne fait que s’attaquer à un bouc émissaire qui se retrouve alors avec la double peine :

Les immigrés souffrent encore plus eux-mêmes de cette destruction du monde qui résulte de la domination du marketing. L’hyperconsumérisme qui a été imposé par la révolution conservatrice par la substitution du marketing à la puissance publique a détruit les modes de vie et les structures familiales, sociales, éducatives, culturelles, etc. S’il est impossible aujourd’hui d’éduquer les enfants, dans le monde entier, c’est parce que ceux-ci sont soumis en priorité et en permanence au marketing qui les rendent inéducables. Et cela constitue un crime contre l’avenir de l’humanité sans précédent (suite ici)

Repenser les notions de croissance et d’emploi

Associée à l’idée d’un PIB qui ne calcule « que les échanges marchands », une croissance se traduirait par une augmentation du consumérisme qui a atteint ses limites :

le consumérisme repose sur l’exploitation de la bêtise, qui induit elle-même une énorme toxicité. C’est ce que je décris comme une crise pharmacologique au sens où le pharmakon est chez Platon le remède qui peut devenir un poison. Ainsi de nos jours tout ce qui semblait positif – les centrales nucléaires, la télévision, les automobiles, les médicaments anti-diabète de Servier, etc. – paraît est devenu fondamentalement toxique (suite ici)

Parler de l’emploi sans proposer de le repenser, c’est amener la classe politique à perdre encore plus en crédibilité quand il sera nécessaire de faire le bilan. Nous ne retrouverons pas le plein emploi au sens où il l’entend. D’une part, l’automatisation permise par le numérique supprime de l’emploi et du travail sans en recréer, nous obligeant à partager le travail. D’autre part, si l’on souhaite sortir de la toxicité du consumérisme, il faudra embrasser la transformation en cours de l’emploi en contribution (par exemple, des centaines d’encyclopédies compétitives remplacées par le projet contributif wikipedia) où chacun a le potentiel d’être contributeur en tant qu’usager, producteur, concepteur, financeur autour de communs.

Evaluer l’impact du numérique pour construire l’avenir

L’incapacité du politique à comprendre ce message est lié en partie à l’impact fulgurant et difficile à cerner du numérique, lui aussi pharmakon, à la fois poison et remède.

Le numérique « mal utilisé » est l’une des causes de l’aggravation accélérée de la situation : Trading à haute fréquence, publicité partout même dans les échanges familiaux comme sur facebook, capacité à mettre en concurrence tous les travailleurs du monde sans politique sociale mondiale, perte des espaces de socialisation avec les petits commerces remplacés par des plateformes comme Amazon, plateformes utilisant le potentiel du numérique pour favoriser le désinvestissement à grande échelle, etc….

Pour autant, à l’opposé, le numérique permet de dépasser les modèles consuméristes, en prouvant sa capacité à produire en logique contributive des solutions puissantes (Wikipedia ou Linux par exemple). D’autres alternatives sont maintenant à portée de main comme la mise en place d’une monnaie libre (le fonctionnement monétaire actuel par le crédit est en grande partie responsable des soucis actuels, en particulier de l’obligation pour l’Etat d’une croissance permanente…) ou le développement de fonctionnements démocratiques avec des grands nombres (appliquer le modèle de collégiale de Saillants à des grandes villes ou même un jour des États ou l’UE…).

L’acteur public au pouvoir n’arrive pas encore à comprendre et soutenir ce secteur de l’économie contributive. Rares sont les institutions au pouvoir à avoir su financer Wikipedia, Linux, un logiciel de démocratie liquide ou une monnaie libre… Alors qu’ils savent très bien soutenir des entreprises classiques du monde numérique, ils sont démunis quand il est question du soutien à l’économie contributive. Cette dernière ne fonctionne pas du tout de la même manière que l’économie de marché ou de la planification… Pour autant, même si ces sujets sont complexes et difficiles, la responsabilité de ceux au pouvoir en ce moment est importante sur les prochaines élections. La notre aussi….

Bernard Stiegler sera aux Roumics (http://roumics.com/) à Lille le 18 novembre pour parler avec nous du développement des communs. Cela peut être un logiciel libre, un lieu ouvert, des plans d’objets partagés, de la connaissance, une monnaie, une rue appropriée par les habitants, etc… Ce sont toutes ces choses qui se partagent et aux travers desquelles il est possible de reconstruire de l’investissement personnel et collectif.

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2 Comments

  1. Un excellent complément de cet article, allant dans le même sens mais approfondissant la notion sociale du travail et expliquant pourquoi elle est totalement décorélée de l’emploi, peut être trouvé à l’atelier de création libertaire : il s’agit de « Abolir le chômage : en finir avec l’emploi »:

    L’auteur propose la piste du salaire inconditionnel à vie (tiens, tiens…) comme solution viable pour sortir de la spirale infernale « plein emploi — jobs de merde — travail valorisant — rapport oppressif de la sphère marchande ».

  2. simons

    Commentaire de la part de de Galuel (http://www.creationmonetaire.info)

    Un homme libre et relativiste accompli ne s’intéresse pas aux voies non-libres suivies par autrui. Participer au développement, l’adoption et l’utilisation d’une monnaie libre, en rejoignant un projet de Monnaie Libre tel que OpenUDC / uCoin / autre, est nécessaire et suffisant pour changer l’économie.

    Ne pas comprendre ce point et s’attacher à vouloir changer les autres plutôt que d’adopter soi-même directement la conduite souhaitée afin d’atteindre le résultat souhaité ne manifeste que l’ignorance du principe fondamental des 4 libertés économiques.

    La démarche qui consiste à perdre son temps pour changer les autres, est strictement équivalente à celle de contestataires des principes des logiciels non-libres qui, au lieu de participer au développement, l’adoption et l’utilisation de logiciels libres, auraient perdu leur vie à tenter de faire libérer leur code à Microsoft et Apple.

    Mais la démarche des logiciels libres n’a pas été de critiquer Microsoft et Apple pour les faire changer de jeu. La seule démarche cohérente avec la liberté a été de développer GNU/Linux et plus fondamentalement encore, pour les héros des logiciels libres, ces grands conquérants des années 1983 – 2014, de développer les 4 libertés logicielles en les mettant en oeuvre directement par leurs propres efforts et réalisations partout où ils pouvaient le faire au sein des développements auxquels ils participaient.

    Un grand conquérant des libertés économiques dépasse donc la critique des monnaies non-libres et se concentre au delà de ce point à développer, adopter et utiliser une monnaie libre sans attendre, et en ayant bien compris que fondamentalement toute autre démarche n’est qu’une pure perte de son temps de vie, un temps de vie limité et extrêmement précieux.

    Comprenant cela il réalise que la critique nécessaire ne constitue que l’éveil à la nature des causes produisant des effets nuisibles, des effets non-libres, et que pour réaliser l’éveil à la nature des causes produisant des effets non-nuisibles, des effets libres, il convient d’aller au delà de la critique pour oeuvrer dans le champ de la production des causes non-nuisibles.

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